Jeudi 6 juillet 1989
Commission d'enquête banditisme terrorisme
Ecarté de la Sûreté à cause du WNP
le commissaire Kausse vide son sac
Comme une fusée propulsée par l'amertume, le commissaire de la Sûreté Joseph Kausse, écarté du service en 1985 après (ou pour?) avoir découvert deux ans plus tôt la présence de son collègue Smets dans le groupe néo-nazi Westland New Post, a fait jeudi à la commission parlementaire d'enquête des révélations tellement «fortes» que le président Bourgeois hésitait même à laisser acter par exemple qu'«au procès du double assassinat de la Pastorale en 1987, la présidente Mme Lumen a donné l'occasion à M. Smets de mentir sous serment, en présence de l'avocat général M. Jaspar».
Fausses notes de frais, caisses noires, fuites organisées, complicité d'agents de la Sûreté dans l'incendie de l'hebdomadaire Pour, collaboration d'agents du service avec l'extrême droite, intimidations, filatures, pressions et provocations à l'égard de Kausse, tentatives de le faire passer pour fou, récupération de ses propres rapports par les autorités de la Sûreté pour justifier le rôle de Smets: le commissaire Kausse a vidé le fond de son sac:
«Jusqu'en 1975, au service de protection des VIP, l'argent que nous recevions à l'issue de certaines visites de personnalités étrangères allait dans une caisse d'entraide. Après, des sommes importantes, reçues notamment après la visite d'un chef d'Etat africain, ont été remises à l'administrateur général. Dès mon arrivée, en janvier 1982, à la brigade chargée de la lutte contre la subversion dans le Brabant wallon et à Bruxelles (B2C), j'ai refusé à l'inspecteur Deroock de continuer à entretenir une caisse noire, alimentée par une partie des rémunérations des informateurs et destinées à des opérations spéciales, comme cela se faisait, paraît-il, du temps de mon prédéceseur, M. Smets», dit le commissaire Kausse.
Il raconte les réactions suscitées par la découverte du rôle de Smets au WNP et par le dépôt d'un premier rapport de B2C le 7 février 1983, sur le WNP:
«Quand mon chef M. Massart et moi avons donné nos premières informations et les premiers rapports sur le WNP, MM. Raes et De Vlieghere n'avaient pas l'air d'être au courant, dit-il. Le 7 mars 1983, nous avons reçu d'Espagne un télex citant le nom de Libert, notre informateur sur le WNP. Le 10 mars, le commissaire Smets rentrait son rapport de neuf pages sur le WNP qu'il connaissait depuis longtemps. Puis un article est paru à ce sujet dans le Nouvel Europe magazine. Un mois plus tard, on commençait à répandre le bruit que j'étais d'extrême droite...»
Caches d'armes
Joseph Kausse raconte un peu dans le désordre la chronologie des événements de 1983, les difficultés rencontrées à la Sûreté. Plusieurs députés lui demandent ce qu'il pense du fond du problème:
«J'ai bien vu qu'à la Sûreté on ne pouvait pas toucher à Deroock ni à Smets. Smets était une sorte d'homme de main du patron. Il avait notamment travaillé dans l'affaire Bonvoisin. Il avait des contacts avec l'extrême droite. Je vous dirai d'autres choses à huis clos. Pour moi, le WNP était dangereux: ce groupe était clandestin, groupait des militaires et des gendarmes, avait des contacts à l'étranger. J'ai une liste d'une soixantaine de membres. Smets, je pense, a été victime de sa folie des grandeurs. Il travaillait avec une bande d'acolytes dont il était facile d'abuser. Ça a sans doute dégénéré. Le résultat de sa pénétration au WNP n'a pas été utile à la Sûreté, mais à Latinus, oui. Le WNP savait que la Sûreté avait un plan de caches d'armes en prévision du temps de guerre. Le WNP a fait la même chose. La théorie de Smets piégé par Latinus, je n'y crois pas. Je prends mon collègue pour un homme intelligent. Je trouve regrettable qu'il vienne maintenant avec cette explication. Elle n'est pas plausible.»
Documents
Le député Laurent demande à Kausse s'il a une explication sur la raison pour laquelle on a demandé à la Sûreté le «dossier Chomé époux Lyna» le 8 septembre 1983 alors que l'affaire WNP venait d'être mise à l'instruction chez Mme Lyna après l'arrestation de Barbier:
«Un mois avant, nous avions reçu une note de France sur l'avocat Chomé. Un de mes collaborateurs, M. Feron, avait pris le dossier Chomé-Lyna et l'avait laissé dans son tiroir. En septembre, le secrétaire de M. De Vlie-ghere m'a redemandé ce dossier. C'était pour M. Raes. J'ai d'ailleurs ici une note avec toutes les dates de déplacement de ce dossier dans le service...»
Le président Bourgeois explose:
«Tout le monde peut-il emporter des pièces de la Sûreté chez lui? Je trouve cela grave. Depuis quand avez-vous cette pièce?»
Le commissaire Kausse:
«Depuis 1983. C'est un document administratif. Je l'ai pris pour assurer ma défense.»
Le député Eerdekens:
«Je demande que ce document soit remis, et je regrette cette manie de la photocopie, ici, au parquet de Nivelles et ailleurs. Mais si ce que dit M. Kausse est vrai, alors MM. Raes et De Vlie-ghere nous ont dit volontairement ou non des choses incorrectes.»
M. Kausse remet ce document, de même que le brouillon, de la main de M. Smets, de l'attaque contre l'hebdomadaire Pour publiée dans le Nouvel Europe magazine quelques mois avant l'incendie. Il dépose aussi la liste des membres du WNP et la copie d'une lettre de Barbier, que Kausse a reçue de Libert, dans laquelle Barbier rapporte que Smets lui aurait demandé s'il était capable de tuer un agent de la Sûreté:
«C'était de moi dont il s'agissait, dit Kausse. J'ai fait rapport à M. Raes. Je n'ai jamais eu de réponse. Trouvez-vous cela normal? Est-ce normal qu'après l'incendie de Pour l'inspecteur De Roock soit allé à la PJ disculper un suspect en disant qu'à la date de l'incendie, le 5 juin 1981, il avait la jambe plâtrée à la suite d'une chute de moto qui s'est produite le 12 juin 1981? Ça, ce n'est pas un document de la Sû-reté. L'inspecteur Estiévenart m'a dit qu'après la mort de Latinus M. De Vlieghere l'avait incité à retourner chez le juge pour appuyer la thèse du suicide.
«Après 1983, à la Sûreté, on nous a coupé nos sources sur l'extrême droite. Pour chercher des explications sur les tueries du Brabant dans l'extrême droite, nous n'avions plus les moyens...»
Audition difficile, suivie l'après-midi par la réaudition du général de gendarmerie Berck-mans, ou plus exactement par les explications d'un capitaine, expert juridique, sur la vision qu'a la gendarmerie du maintien de l'ordre et de la maîtrise de la grande criminalité. De cela aussi on reparlera plus tard.
Parce que, mercredi soir, après un entretien avec les journalistes et un apéritif offert par le président de la Chambre M. Nothomb, la commission est partie en vacances, laissant l'été aux trois magistrats experts pour étudier les dossiers et revoir tout cela en septembre...
RENÉ HAQUIN.
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"Ne rien nier à priori, ne rien affirmer sans preuve."
( Dr. Robert RENDU)