http://www.resistancesnews.be/spip//spip.php?article61
Pour les attaques sanglantes, les tueurs et leurs complices ont utilisé la « méthode du M renversé » dans une « zone de confort ».
La méthode du M renversé
Seules des personnes formées aux méthodes militaires de commandos peuvent exécuter de pareilles attaques. La méthode du M renversé sera utilisée lors des attaques à Braine-l’Alleud, Overijse et Alost avec à chaque fois le même mode opératoire.
Pour exécuter avec précision un pareil plan, il faut des personnes non connues qui agissent de sang froid et sans laisser de traces. Elles doivent être convaincues de leur mission, avoir un sentiment d’impunité total (être couvertes quoi qu’il arrive) et pouvoir disparaître dans la nature rapidement sans courir le risque d’être retrouvées.
Zone de confortLa zone de confort, ce sont les voies de fuite et zones tranquilles à proximité des faits. Ainsi, le fameux triangle Alost-Wavre-SHAPE reprend la majorité des faits et a comme épine dorsale une nationale (la N6) qui permet de s’enfuir rapidement.
La nationale 6 est, comme par hasard, l’itinéraire le plus rapide entre le Bois de la Houssière à Braine-le-Comte (où de nombreuses pièces ont été abandonnées et fouilles ont eu lieu) et le SHAPE, le quartier-général de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
C’est bien entendu dans cette « zone de confort » que la majorité des indices ont été planqués, voire abandonnés.
Voir aussi :
http://www.resistancesnews.be/spip/spip.php?article20
Retraçons tout d’abord le contexte de l’époque. La menace communiste du bloc de l’Est est forte. Le plus important service de renseignements des Etats-Unis, la Central Intelligence Agency (CIA), et les autres services secrets alliés sont sur les nerfs. La Belgique, qui accueille le siège de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN), en charge depuis 1949 de la défense militaire du « monde occidental », et un dispositif nucléaire caché, est le terrain de test idéal d’une opération « grandeur nature » de reprise en main des appareils d’Etat en Europe.
En effet, les pays européens commencent à être contaminés par les idées pacifistes et progressistes. Il est temps d’activer les réseaux d’idéalistes prêts à lutter contre le nouveau « péril rouge ».
Exécutants : le « milieu » criminelEn Italie, pour empêcher l’arrivée par les urnes du parti communiste au gouvernement, avec la démocratie-chrétienne, une « stratégie de la tension » est orchestrée dès les années 1960. Des bombes vont exploser dans des lieux publics : banques, trains, gare... Le but est de terroriser la population et d’instaurer une situation de chaos. Les exécutants proviennent de groupuscules d’extrême droite néofasciste, manipulés par des agents des services secrets italiens et nord-américains.
En Belgique, quartier-général des forces militaires alliés et capitale des institutions européennes, les attentats aveugles seront remplacées par des actions terroristes camouflées en attaques à mains armées sanglantes. L’objectif double étant toujours le même :
Instaurer un climat généralisé d’insécurité.
Par celui-ci, faire accepter par la population, le recours à un dispositif ultra-sécuritaire et renforcer les structures policières et militaires du régime.
Pour réaliser une telle opération, le silence sera le meilleur allié. La manoeuvre sera pilotée de l’extérieur avec la bénédiction de la hiérarchie qui y déléguera certains « gladiateurs », issus des structures clandestines mises en place par l’OTAN de façon préventive pour pouvoir riposter à une invasion soviétique hypothétique. Les responsables de cette opération disposent d’une large liberté d’action, tenus au silence mais couverts par leurs chefs quoi qu’il arrive. Ces derniers utiliseront, comme exécutants des basses oeuvres, le « milieu » criminel, sans relier les faits entre eux. Ils seront « dédommagés » par les butins.
Comment expliquer sinon que le milieu, en général bavard, lors de séjours en prison ou en confessions ou vantardises de bistrot, n’ait jamais permis aux enquêteurs de pincer les auteurs ? En réalité, les cerveaux se tiennent depuis le début par un serment de silence confirmé par le message publié incognito dans les journaux belges de l’époque (dont le quotidien « Le Soir »), dans les deux langues nationales, au moment des auditions de la commission parlementaire d’enquête « Gladio » :
QU’EST CE QUE LE SDRA 8 ?Il s’agit d’une unité secrète constituée de huit d’officiers et sous officiers (principalement des parachutistes et des commandos), qui encadraient des civils relativement jeunes, actifs à des postes stratégiques (écluse, port, pont, voies de chemins de fer...), recrutés après une enquête de deux à trois ans, dans les milieux conservateurs et de droite qui « pensaient bien ».
Leurs traits communs étaient leur patriotisme, les convictions anticommunistes et dans la formation poussée à la guerre subversive de ses membres. La première mission du SDRA 8 étant de préparer des réseaux dormants en cas d’invasion de l’Ouest par les armées du Pacte de Varsovie.
La structure et la composition de ce service en avaient fait une organisation de première force particulièrement performante.
Jean-Marie Tinck et les voitures des tueursAujourd’hui, les enquêteurs ont enfin, 29 ans après les derniers faits imputés aux « tueries du Brabant », un maillon de cette vaste chaîne : l’homme figurant sur le portrait-robot numéro 17, celui qui porte un bonnet, et sur lequel plusieurs personnes avaient déjà reconnu Jean-Marie Tinck. Il était recherché dans le dossier des tueries pour le vol d’une voiture Austin Allegro, à Ixelles, le 10 mai 1982.
La description qui en avait été donné à l’époque était la suivante :
« Deux hommes armés probablement de revolvers à long canon s’emparent, sous la menace de leurs armes, d’une voiture Austin Allegro de teinte gris métal que son propriétaire vient de stationner sur les lieux du vol.
Les auteurs se dirigent vers Watermael-Boitsfort. La voiture volée est en mauvais était, poussive, et son réservoir d’essence est presque vide.
Les auteurs s’expriment en français et sont décrits comme deux hommes âgés de la quarantaine, voire plus. L’un est grand (1,80m) et mince, cheveux noirs et moustache, et porte un bonnet. Le second est plus petit, porte la moustache, ses cheveux sont ondulés et grisonnants. »
L’Austin sera retrouvée le lendemain à Lembeek, sur les lieux du vol de la VW Santana en face du garage Brichau, situé chaussée de Mons. La Santana, dérobée dans le show room du garage, sera utilisée ensuite, à Maubeuge, le 14 août 1982, lors d’un vol suivi d’un échange de coups de feu avec des policiers français. Cette voiture sera également utilisée le 30 septembre 1982 lors du hold-up à l’armurerie Dekaise, qui sera suivie d’une fusillade avec les forces de l’ordre à Hoeilaart.
La Santana sera retrouvée vers 22h30 ce soir-là à Uccle, à l’entrée de la drève du Caporal, à 200 mètres de la chaussée de la Hulpe. Uccle, c’est la commune dans laquelle résidait... Jean-Marie Tinck, à l’époque.
Notons aussi que le 16 octobre 1982, un adolescent découvre au carrefour de la drève du Sanatorium et de la drève Saint Corneille divers objets :
« Des cartes de banque appartenant à Dekaise et l’un de ses clients victime de l’agression, des blocs de mousse du siège arrière de la VW Santana, une plaque d’immatriculation coupée DSN237 (copie d’une plaque attribuée à un véhicule identique dont le propriétaire était domicilié avenue Huysmans 225 à Ixelles), un soulier coupé et un polo déchiré, un journal espagnol El Pais, divers documents appartenant à Dekaise, une monture de lunettes sans verre, des morceaux de papiers manuscrits ».
Un détail que les enquêteurs n’avaient pas reliés avec le suspect...
Or cette fois-ci l’âge, le périmètre d’action, les caractéristiques physiques, le passé du milieu, tout concorde.
Ce véhicule servira d’ailleurs à plusieurs fusillades et braquages cette année-là. Cinq jours après le vol de la VW, Tinck déménagera d’Uccle à Ixelles. Il y habitera pendant un an, et coïncidence troublante, tous les faits qui lui sont reprochés ont eu lieu cette année-là.
Petites mains pour « one shot »À partir d’avril 1983, Jean-Marie Tinck n’aurait plus activement fait partie de la bande des « tueries du Brabant ». Cette année-là, il est condamné pour une affaire de coups et blessures à une peine de 30 mois de prison. En 1984, aucune information ne filtre à son propos. Il se refait une santé à l’ombre pour qu’on l’oublie. Une évidence : Jean-Marie Tinck a été utilisé comme d’autres et, une fois sorti de taule, on lui trouvera une activité professionnelle discrète où il pourra gagner sa vie et assouvir sa passion pour la voile.
C’est cela la force des recruteurs qui font le lien entre le milieu et les militaires. Ces derniers utilisent des « petites mains » pour les repérages, comme chauffeurs, pour se procurer des armes et des voitures volées. Mais aussi pour des « one shot », sans qu’ils puissent reconnaître les auteurs ni relier les faits entre eux.
En 1985, lors de la seconde vague des tueries du Brabant, Jean-Marie Tinck est soupçonné par les autorités judiciaires de rendre encore quelques services à ses anciens commanditaires. Conducteur habile, il a même peut-être été leur chauffeur pour certains « coups ». C’est ce qu’il aurait confessé à un ami français, aujourd’hui à l’origine de son arrestation. C’est avec sa mise sous les verrous que les enquêteurs espèrent arriver à arrêter l’un ou l’autre exécutant supplémentaire, pour retisser petit à petit le fil d’Ariane...
Deux éléments encore, et non des moindres, pour se poser les bonnes questions et relier les commanditaires aux exécuteurs : la méthode utilisée pour les attaques sanglantes et la « zone de confort ». Seules des personnes formées aux méthodes militaires de commandos peuvent exécuter de pareilles attaques. La méthode du M renversé sera utilisée lors des attaques à Braine, Overijse et Alost avec à chaque fois le même mode opératoire.
La piste américaine, photographe et mercenairesLe SHAPE, dont la devise « La vigilance est le prix de la liberté » prend tout son sens dans ce cas... Concrètement, c’est la Central Intelligence Agency (CIA), les services secrets civils des Etats-Unis, via la Defense Intelligence Agency (DIA), les services de renseignements militaires nord-américains, qui aurait fourni des mercenaires rompus à ces méthodes, en les amenant à l’aéroport de Chièvres, à côté du quartier-général de l’OTAN au SHAPE, à Casteau (près de Mons). Elle les aurait exfiltré ensuite pour les faire disparaître dans la nature.
La cellule d’enquête des tueries du Brabant (CBW) se fait fort discrète sur cette piste. On peut comprendre la difficulté pour ses enquêteurs d’être reçus dans les états majors militaires, belges ou étrangers, où ils sont souvent « promenés ». Notons tout de même que les enquêteurs ont affiché une photo sur le mur de leur bureau sans en diffuser un portrait robot. Nous avons pu en saisir une image furtive lors d’une des dernières émissions télévisées consacrées à l’enquête, relancée par la juge d’instruction Martine Michel.
( sic :
Guillaume Vogeleer, voir https://www.youtube.com/watch?v=ikpa3a7I8xg )
Les enquêteurs ont la conviction que le personnage qui se trouve sur une photo en leur possession pourrait les guider vers ces mercenaires. Et pour cause, le photographe en question, Jim C., travaille sous le nom de James C., notamment pour le magazine militariste « Soldier of Fortune ». Il est de tous les conflits depuis près de 50 ans. Jim C. connaît tous ceux qui ont mené des opérations aux quatre coins du monde, comme en témoigne une autre photo où il apparaît aux côtés de Guillaume Vogeleer, un mercenaire belge, surnommé « Colonel Jimmy », un anticommuniste pur et dur, ancien de l’Ommegang au Congo dirigé par le Colonel Vandewalle et en « service commandé » au Chili, au Soudan, au Laos, en Thaïlande et dans une série de guerres civiles, sans jamais être inquiété par l’Etat Belge.
Ainsi, en creusant autour des fréquentations du photographe et du mercenaire belge, la cellule d’enquête aurait mis à jour deux noms d’agents de la CIA : Robert K. Brown et Anthony Alexander Poshepny, un paramilitaire de la CIA, actif en Asie, grand ami de Guillaume Vogeleer, mieux connu sous le nom de « Tony Poe », décédé en 2003.
Mercenaires et réseau d’ex-SSRobert K. Brown a été le fondateur de la revue « Soldier of Fortune », citée dans le schéma que Paul Latinus, le dirigeant officiel du WNP (une organisation néonazie clandestine belge citée régulièrement dans le dossier des tueries du Brabant) avait donné à René Haquin, journaliste d’investigation du quotidien « Le Soir », spécialiste des « années de plomb belges » et auteur du livre « Des taupes dans l’extrême droite. La Sûreté de l’Etat et le WNP » (éditions EPO, 1985).
Robert K. Brown, dans son autobiographie (I’m a soldier of fortune. Dancing with thé devils, ed. Casemate, p.109), parle de sa rencontre avec l’allemand Otto Skorzeny. Officier SS commando, ce dernier est connu pour ses missions audacieuses réalisées lors de la Seconde Guerre mondiale pour l’Allemagne nazie. Après la conflit, Otto Skorzeny s’exila en Espagne franquiste où il dirigera le réseau « Odessa », l’organisation secrète des anciens membres de la SS en charge de leur exfiltration vers l’étranger et leur intégration dans des pays d’accueil. « Odessa » participera au développement de groupes néonazis en Europe, en pleine guerre froide. Ces groupes deviendront un des maillons de la lutte anticommuniste.
Les fréquentations nazies de Robert K. Brown donnent du poids à l’hypothèse selon laquelle son journal, « Soldier of Fortune », aurait remplacé Aginter Press et le groupe Paladin après le retour de la démocratie au Portugal et en Espagne. Aginter Press était un réseau terroriste anticommuniste agissant sous le couvert d’une agence de presse installée à Lisbonne durant la dictature portugaise. Créé par Skornezy, Paladin était un groupe paramilitaire constitué de néonazis et lié à la WACL, la World anticommunist league, une organisation internationale luttant contre le communisme composée de militaires, de politiciens conservateurs et d’hommes d’affaires américains, européens et asiatiques.
Robert K. Brown, très proche de Jim C, était un ami de longue date de William Casey, le directeur de la CIA sous Ronald Reagan.
Terroriser la populationLe point commun entre les personnes citées était l’anticommunisme : assez primaire chez certains, plus sophistiqué pour les spécialistes de la guerre psychologique, comme des militaires de carrière. Notons l’analogie avec l’opération « Northwoods » proposée par l’armée américaine au président Kennedy au début des années 1960 : l’idée était de tuer des citoyens américains et de faire porter le chapeau aux Cubains pour que l’opinion publique des Etats-Unis accepte l’invasion militaire de Cuba. Ce projet a été refusé par Kennedy qui, peu de temps après a éloigné le cerveau de l’opération, le général Lyman Louis Lemnitzer, en le mettant à la tête du SHAPE, en France puis en Belgique, de 1963 à 1969.
Cette communauté de vue apparaît encore lorsque le stratégiste Brian Crozier, est venu à Bruxelles en 1973 et en 1974 pour rencontrer le colonel Camus de la division « renseignements » de l’état-major de l’OTAN. Peu après, il proposera « une campagne qui donnerait la frousse aux Européens pour resserrer leurs liens avec les Etats-Unis ». Cela fait penser à la lettre d’Alexander Haig à Luns disant que les Européens devraient être « jolted » (secoués) pour voir où étaient leurs intérêts.
Le but des « tueries du Brabant » aurait donc été de terroriser la population pour qu’elle demande un renforcement des forces de l’ordre et de l’armée, à un moment où les manifestations pacifistes se multipliaient en Belgique.
En ce qui concerne l’exécution, il faut s’intéresser à John Singlaub. Ce major-général avait été écarté par le président Jimmy Carter (démocrate) mais a été très actif sous Ronald Reagan (républicain). Il connaissait de longue date Bill Casey, le directeur de la CIA de l’époque, vu qu’ils avaient été ensemble à l’OSS (le bureau des Services Stratégiques américain, l’ancêtre de la CIA) lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a été impliqué dans la création de la CIA, a été en opérations en Mandchourie puis en Corée. Il a ensuite commandé le SOG (Studies and Observations Group) qui a envoyé des équipes des forces spéciales au Laos, au Cambodge et au Nord Vietnam afin de couper la piste Ho Chi Minh et recueillir des renseignements. Ceux qui obéissaient à John Singlaub pouvaient croire que les ordres venaient de William Casey et donc de Ronald Reagan...
John Singlaub était proche du général belge Robert Close. Ce dernier s’est notamment rendu au domicile de Singlaub au Colorado afin de passer en revue la liste des membres de la World Anti-Communist League. Dans les années 1980, John Singlaub et Robert Close ont tous les deux présidés la WACL.
Arrestation de Tinck pour éviter la prescriptionCette nébuleuse militaire et politique dans le giron de la CIA et, par ricochet en Belgique de l’OTAN, sont donc considérés par la cellule d’enquête sur les tueries du Brabant Wallon comme une piste très sérieuse. D’autant, qu’au vu de la ressemblance de certains protagonistes avec les portraits-robots, notamment les n° 19 et n° 23, la cellule d’enquête espère tenir enfin le bon bout !
Avec, pour les enquêteurs, toujours un oeil sur la montre fixé au 10 novembre 2015, date à laquelle l’affaire sera prescrite. Un délai trop court pour lever certains secrets de documents classés confidentiels, déclassifiés... après seulement 30 ans.
D’où l’arrestation de circonstance de Jean-Marie Tinck, un second couteau qui est dans les radars de la CBW depuis 1997 et qu’on gardait au chaud pour le ressortir le jour où les derniers éléments du puzzle commenceront à concorder. Un magnifique prétexte pour que les politiques prolongent à 40 ans la prescription dans cette affaire...
BRICE POIRIER
[Spécialiste des « dossiers noirs » de notre pays, notamment des « tueries du Brabant », Brice Poirier est un des nouveaux journalistes de la rédaction de RésistanceS.be].