HAQUIN,RENE
Mardi 15 juillet 1997
L'ancien ministre de la Justice, Melchior Wathelet, devant la commission
L'enquête sur les tueries sabotée ?
«Je ne suis jamais intervenu ni dans un sens ni dans l'autre. Jamais !»
La commission parlementaire «bis» sur les tueries du Brabant créée en juin 1996 arrive à la fin des auditions entamées en décembre : les six derniers témoins, les deux magistrats nationaux et quatre juges d'instruction, doivent en principe encore être entendus aujourd'hui.
Des questions sur la coordination des enquêtes entre Charleroi et Termonde, sur le dessaisissement de Termonde en 1990 et le terme mis en septembre 1991 au mandat de Freddy Troch en tant que juge d'instruction à Termonde sont revenues sur le tapis hier. Avec, pour y répondre, Melchior Wathelet, l'ancien ministre de la Justice devenu juge à Luxembourg, précédé le matin par Jacques De Lentdecker, son ancien chef de cabinet, nommé ensuite avocat général à Bruxelles.
Jacques De Lentdecker s'appuie sur les pièces qu'il a transmises à la commission pour affirmer que le ministre Wathelet n'est en aucune manière intervenu, ni dans l'organisation de l'enquête, ni dans le refus, en juillet 1989, d'une demande d'extradition de Martial Lekeu, ni dans la décision des procureurs généraux concernés (Bauwens pour Gand et Demanet pour Mons) de requérir à la fin de 1990 le dessaisissement de Termonde au profit de Charleroi.
L'opinion personnelle de De -Lentdecker était d'ailleurs - et reste - que, vu l'état des dossiers instruits à Charleroi et à Termonde, il eût été préférable de maintenir deux cellules d'enquête et deux juges d'instruction en charge, en nommant deux officiers de liaison. Mais à aucun moment, ni le ministre ni moi ne nous sommes prononcés, dit-il.Une réponse qui laisse sceptiques les députés Van Hoorebeke (VU), Annemans (VB) et Van Belle (VLD), ce dernier suggérant que le ministre avait au moins donné un accord tacite à la requête de dessaisissement de Termonde. Ni explicite ni tacite !, martèle Jacques De Lentdecker.
Quant au mandat de juge d'instruction de Freddy Troch, c'est l'administration qui y a mis normalement fin en septembre 1991 (trois mois avant l'expiration normale) sur avis du chef de corps qui estimait que, pour des raisons d'organisation, il ne pouvait exercer simultanément deux mandats aprèssa nomination aux fonctions de vice-président du tribunal de Termonde. Il n'y a eu aucune intervention du ministre. Et il est faux de parler de sanction déguisée.
L'ancien ministre Wathelet l'a redit l'après-midi avec une fermeté teintée d'exaspération : Je ne suis jamais intervenu ni dans un sens ni dans l'autre, ni pour ou contre une cellule d'enquête unique, ni pour pousser au dessaisissement, ni pour mettre un terme au mandat du juge Troch. C'était l'usage dans le ressort de Gand de ne pas permettre le cumul de mandats de juge et de vice-président, a-t-il précisé, statistiques d'époque à l'appui.
Depuis sept ans, des médias ont relayé en Flandre l'idée d'une pression exercée par Wathelet dans le processus des décisions qui ont eu pour effet de dessaisir Termonde et d'enlever à Freddy Troch les dossiers qu'il instruisait. Le président Van Parijs rappelle qu'on parla même de violation de l'indépendance des magistrats. Le député Van Belle se demande aussi s'il ne faut pas voir une forme ou l'autre de protection derrière le transfert des dossiers de Termonde à Charleroi et cite Van Parijs dans l'émission «Aktueel» (BRT-radio) : le dessaisissement pouvait être le coup mortel pour l'enquête.
Melchior Wathelet hausse encore le ton. Vous dites que je suis intervenu ! Je ne peux pas protester contre votre impression. Mais je le conteste aujourd'hui comme depuis 1990. Jamais ! Et je n'ai jamais eu le sentiment que la procédure de décision ait pu être guidée par un désir de cacher, de protéger ou de saboter l'enquête.
On lui demande encore d'expliquer pourquoi il manque les points D à F dans le rapport de la réunion du collège des procureurs généraux tenue en octobre 1990, quand MM. Bauwens et Demanet annoncèrent qu'ils demanderaient le dessaisissement de Termonde, Melchior Wathelet réplique, acide :
Je n'en ai aucun souvenir. C'est le collège des procureurs généraux qui tenait le secrétariat de ces réunions. Demandez-le-leur. Sans doute est-ce à cause d'un coup d'Etat ?...
Le ton de la séance fut acide et franchement communautaire : des soupçons lancés du nord au sud, fort éloignés des questions qu'on attend d'une enquête parlementaire...
RENÉ HAQUIN
_________________
"Ne rien nier à priori, ne rien affirmer sans preuve."
( Dr. Robert RENDU)