Extrait de la commission
« Groupe G
Objet : Buts du noyau
Le but premier de notre groupe consiste à former un noyau solide d’hommes résolus au sein du corps de Gendarmerie, seul organe de police nationale. Il serait en effet stupide d’avoir les mêmes idées et de végéter dans l’inertie. Le fait de nous réunir et d’échanger nos idées est déjà un grand pas. Nous ne faisons qu’exprimer ici un de nos droits, celui de nous réunir, une de nos libertés, celle d’expression et de pensée.
Nous ne sommes pas un groupe d’anarchistes, de révolutionnaires
ou de conjurés mais simplement un noyau d’hommes fiers et conscients des valeurs morales, des hommes fiers d’appartenir au corps d’élite qu’est la Gendarmerie et nous voulons que dans l’avenir nous puissions toujours être fiers de le dire. De nombreux hommes dans le monde et dans notre pays luttent contre le péril rouge. De classes sociales différentes et faisant différentes professions, le plus souvent ils luttent dans l’ombre ou au grand jour suivant leurs moyens et prennent parfois d’énormes risques. Ils sont étudiants, ouvriers, employés, militaires ou exercent des professions libérales. Nous devons les aider du mieux que nous pourrons et cela leur est utile dans le cadre de notre métier.
De notre action dépend notre survie morale. Il faut élargir notre action en recrutant d’autres collègues ayant le même idéal, les mêmes idées que nous et ceci avec prudence et patience.
Nous aiderons l’organisation à laquelle nous sommes rattachés par des renseignements, cotisations et par le fait que nous sommes gagnés à leur cause, qui est la nôtre, et par notre cohésion.
Nous diffuserons avec prudence nos idées au sein de la Gendarmerie et nous essayerons de faire prendre conscience à nos collègues du danger qui guette notre civilisation. Nous avons un travail de sape à accomplir, il sera long mais c’est possible puisque nous sommes déjà un groupe. De tout temps les hommes de l’occident ont lutté contre les hordes venues de l’est et ils lutteront à chaque fois que cellesc
mettront en danger nos valeurs, nos coutumes, nos traditions et tout ce que nous avons toujours connu et aimé. Il nous faut un régime fort et des hommes compétents aux rênes du pouvoir. »
Et diverses déclarations et informations pouvaient donner l’impression que ce Groupe G ne devait pas être sousestimé.
A titre d’exemple, quelqu’un de Bastogne qui avait fréquenté Lekeu pendant un certain temps a déclaré qu’il affirmait (28) :
« (...) avoir à cette époque encore régulièrement des réunions avec des personnes d’extrême droite dans un hôtel à Bruxelles. Il a affirmé qu’assistaient à ces réunions des gradés de la police et de la gendarmerie, ainsi que des Américains. Il a indiqué que ces personnes étaient en fait les planificateurs de quelque chose qui couvait depuis des années et qui avait pour but d’amener au pouvoir en Belgique une forte personnalité d’extrême droite, provenant des milieux de la gendarmerie ou des militaires. Il a affirmé que lui et d’autres se trouvaient sur le terrain et que les directives pour le développement de cet objectif émanaient de personnes qui se réunissaient dans cet hôtel à Bruxelles. Il était clair et net au sujet de ces réunions régulières, j’en ai déduit qu’elles se tenaient à ce moment à la cadence d’une réunion par mois.
Il a également affirmé que ceux qui fournissaient les directives étaient des Américains qui donnaient à leur tour des directives à des militaires et des gendarmes de haut grade.
Je ne me rappelle plus le nom de l’hôtel où se tenaient ces réunions. ».
Et, en ce qui concerne un ancien bon collègue (présumé) de Lekeu et la gendarmerie, les informations ne concernaient pas que son comportement licencieux, mais aussi (29) :
« (...) le fait que Bouhouche avait reçu pour mission de former un groupe.
Il intègre dans ce groupe des personnes qui ont ou ont eu des « problèmes » au sein de la gendarmerie. Parmi celles-ci, notamment (...), (...), (...) et (...). Ceci pourrait être à l’origine de la constitution d’une bande. ».
L’entretien du 28 février 1989 entre le substitut Acke et le journaliste de La Dernière Heure, qui avait eu peu avant un entretien approfondi avec Lekeu à Orlando, Gilbert Dupont, n’était pas de nature à minimiser l’importance de ces premières informations concernant le Groupe G. Il a notamment communiqué que Lekeu lui avait exposé que (30) :
« (...) le recrutement pour le Groupe G était effectué par Didier Miévis, qui travaillait au BCR (Bureau Central desRecherches de la Gendarmerie). Par conviction, Lekeu avait déjà assisté à des réunions du Front de la Jeunesse (dont sont issus Forces Nouvelles et le WNP). En plus de Miévis, on trouvait dans le Groupe G d’autres gendarmes, dont l’identité était inconnue de Lekeu. Francis Dossogne assistait aux réunions en qualité d’observateur. Ceux-ci avaient adopté le style nazi. Ils portaient des uniformes SS.
Chacun se voyait confier des missions très précises. Les uns ne savaient généralement pas ce dont les autres étaient chargés. Lekeu recevait ses missions de Miévis. Ils se savaient soutenus par des collaborateurs de l’Etat-major de la gendarmerie. Le Groupe G avait pour objectif d’infiltrer
toutes les composantes importantes de l’Etat, c’était un projet étalé sur de nombreuses années. Initialement, les membres seraient recrutés à l’Etat-major de la gendarmerie, à l’armée belge, à l’Ecole royale militaire et auprès de certains hommes politiques. L’organisation devrait se développer pour devenir un genre de loge à la P2, d’obédience extrême droite.
Le principal homme politique, qui à sa connaissance faisait partie de l’organisation, était le Baron de Bonvoisin. C’est lui qui aurait tenu les rênes. Le groupe aurait été bien implanté au CEPIC. VDB, aussi, a été nommé, même si ce dernier aurait plutôt été manipulé.
L’une des aspirations aurait été de renforcer la gendarmerie à tel point que la police judiciaire et la police communale seraient liquidées.
4. Les membres du groupe G étaient chargés de certaines missions ou de certains exercices. Ainsi devaient-ils :
— photocopier des documents militaires;
— copier des fiches politiques, plus particulièrement les fiches de l’adjudant Tratsaert de la section info de la BSR de Bruxelles, qui avaient été « empruntées » à son insu. Ces pièces ont été transmises à l’organisation et à Dossogne. Le nombre de fiches politiques dérobées de cette façon était très considérable. Lekeu cite encore d’autres « tests », qui ont été réellement exécutés :
— le vol de 3 véhicules de l’ESI, pour faire une excursion jusqu’à Charleroi et les ramener sans que cela se remarque et sans laisser de traces;
— l’enlèvement de 3 gardes de la Légion mobile qui seront ensuite redéposés, nus et démunis de leur arme de service, devant la caserne.
C’est dans le même contexte qu’il situe :
— l’attaque du véhicule de la BSR (affaire Goffinon);
— l’attaque perpétrée contre le major Vernaillen.
Ces deux derniers faits auraient toutefois été des actions improvisées de membres individuels du groupe G, que l’organisation a rappelés à l’ordre. ».
Rien de surprenant, à la lumière de cette déclaration, que, peu après — le 1er mars 1989 le Groupe Delta interroge Miévis (31). Celui-ci considérait ce qui s’était passé comme une erreur de jeunesse et, disait-il, il « n’avait plus rien à voir avec ces affaires-là ». Il s’était un peu fourvoyé entre mars 1976 et décembre 1976. A l’époque, il travaillait au BCR et y avait rencontré un beau jour un certain Maquet Thierry qui, tout comme lui, s’intéressait beaucoup aux militaria. Ce Maquet lui avait fait lire un jour le Nouvel Europe Magazine et ce qu’il avait lu dans cette revue l’avait fait réagir : « J’avais notamment l’impression que l’on critiquait trop vite et par trop la gendarmerie. ». Cela donna aux deux collègues l’idée d’avoir un entretien avec l’auteur des articles en question, Francis Dossogne, qui était égalementle responsable du Front de la Jeunesse. Cet entretien eut effectivement lieu et il fut convenu qu’il (Miévis et non Maquet) entretiendrait en cachette des contacts avec Dossogne.
Ces contacts débouchèrent sur le plan suivant :
— commencer par regrouper des policiers qui partageaient les mêmes opinions;
— créer ainsi un réseau qui s’opposerait à la prise de pouvoir par les communistes;
— et déjà collecter les noms et les adresses de personnes et/ou d’activités d’« extrême gauche ».
Dossogne présenta ensuite une troisième personne : Lekeu. Il devint également immédiatement membre du groupe.
Avec Dossogne et deux autres personnes (parmi lesquelles un ancien gendarme de Charleroi), ils se réunirent pour constituer le groupe. A son avis, il n’y avait jamais eu ni plus de membres ni d’autres membres. Il reconnut ensuite qu’il était l’auteur des « écrits » qui ont été cités in extenso cidessus. Et il précisa également avoir communiqué à plusieurs reprises à Dossogne certaines informations politiquement importantes qu’il avait collectées au BCR.
Selon Miévis, ce sont non seulement ses propres activités mais également les activités du groupe G en tant que tel qui ont pris fin en décembre 1976. Il fut à l’époque appelé auprès du commandant du BCR, Bruggeman, qui était manifestement au courant de ses contacts avec Dossogne. Il a immédiatement été muté, avec Maquet, vers une autre unité.
Miévis a ajouté qu’au moment de son transfert, il avait coupé tous les ponts avec le groupe G. « On ne m’a pas donné d’autres explications. On m’a simplement bien fait comprendre que j’avais commis une faute déontologique et que je ne pouvais plus parler avec quiconque de cette affaire. ».
Le groupe Delta n’avait pas une totale confiance et fit enregistrer, pendant quelques jours, les appels sortants de l’intéressé. Cette opération n’a toutefois rien révélé de particulier. A la demande du juge d’instruction Troch, Bruggeman a malgré tout établi un procès-verbal des événements (32). Il signala qu’il avait appris du colonel Reviers, le 6 décembre 1976, que les maréchaux des logis concernés auraient transmis de la documentation du BCR à des personnes extérieures à la gendarmerie, ce qui se révéla exact après vérification d’un document. Et :
« Interpellé par moi à ce sujet, le maréchal des logis Miévis sursaute et éclate en sanglots. Il me déclare qu’il fréquente effectivement un groupe de droite, et ce par idéalisme en matière d’ordre et par xénophobie. ».
Le colonel Reviers décida ensuite que les deux gendarmes devaient être écartés immédiatement du BCR et que « cet éloignement suffisait comme sanction ».
Dossogne a, lui aussi, été immédiatement entendu (33). Il a déclaré qu’il se souvenait encore bien des contacts avec Lekeu, Miévis et Maquet ainsi que du plan de création d’un groupe spécifique au sein de la gendarmerie. Il était nécessaire de créer un tel groupe car les gendarmes « ne pouvaient pas se permettre de faire directement partie du Front de la jeunesse ». Il a confirmé que ce groupe avait pu se composer au maximum d’une dizaine de personnes, mais n’a pu fournir de détails à ce sujet parce que, pour garantir la clandestinité du groupe, il ne connaissait pas, lui non plus, le nom des membres. Miévis servait en effet de contact. En revanche, il a nié, du moins initialement, avoir reçu desrenseignements; plus tard au cours de l’audition, il l’a admis, mais il aurait préféré ne pas avoir à le faire pour éviter de causer de nouveau des problèmes à Miévis. Il a également déclaré que le groupe G n’avait pas existé longtemps : il avait été dissous après la mutation de Miévis. Selon Dossogne, Lekeu avait des idées plus extrémistes que Miévis :
« Il se situait certainement à l’extrême droite et était un homme déçu par le fonctionnement de l’appareil judiciaire en général ». Dossogne a toutefois précisé que les deux étaient « certainement disposés à effectuer des opérations de commando contre des objectifs de gauche (contre-manifestations,
briser des vitres, etc.). ».
Plus tard, début mars 1989, plusieurs des (ex-)gendarmes cités dans le rapport Tratsaert ont été entendus :
Maquet, Ponchelet et Galletta (34). Cela mènerait trop loin de résumer ici chacune de ces dépositions. Si l’on se contente d’en retirer les grandes lignes, on peut dire que tous trois ont assurément eu, à un moment donné, un contact avec Miévis, mais qu’aucun n’a reconnu avoir jamais entendu parler d’un groupe tel que le groupe G, et encore moins avoir été membre du Front de la jeunesse; ils comprenaient déjà parfaitement que c’était inadmissible pour un gendarme. L’un d’entre eux a déclaré n’avoir jamais assisté à la moindre réunion (ce qui correspond aux remarques faites à ce propos dans le rapport Tratsaert, CF/RV). Un autre s’est bien rendu une fois au domicile de Miévis et y a rencontré Lekeu, mais contrairement à ce à quoi il s’attendait — découvrir des militarias — un drapeau à croix gammée était suspendu dans la pièce et la conversation a porté surtout sur le magazine « Nouvelle Europe magazine »; après cette visite, il s’est immédiatement distancié de Miévis, mais s’est abonné pendant un certain temps au magazine en question par pure curiosité. Le troisième homme a rencontré une fois Lekeu à une « réunion », et c’est précisément celui-ci qui, à cette occasion, a parlé d’infiltrer la gendarmerie. Le gendarme qui n’a assisté à aucune réunion a déclaré qu’il n’a jamais eu affaire à l’extrême droite, de quelque manière que ce soit, y compris après son séjour à l’Ecole royale de la gendarmerie. Le gendarme qui ne s’est rendu qu’à une reprise au domicile de Miévis a précisé que depuis lors, il n’avait plus jamais eu de contacts avec Miévis ou Lekeu. Enfin, le troisième gendarme a confirmé la déclaration de Miévis, selon laquelle son éloignement au BCR a entraîné la dissolution du groupe G.
Fin de l'extrait.
Le groupe armé? Reste à trouver les cerveaux...