Interview d'un témoin de Braine l'Alleud.

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Comme le dit dcmetro il est hallucinant de penser que, une fois l'attaque terminée et les auteurs partis, les clients sont passés aux caisses presque "comme si de rien n'était". C'est même à la limite du croyable. Je n'ai jamais vécu de hold-up, donc je ne sais pas comment je réagirais dans un moment de telle tension. En plus, chacun a sa manière de réagir. Toutefois, il me semble que vivre un événement aussi violent doit laisser des traces psychologiques ou même physiques surtout dans les secondes et les minutes qui suivent. Certains (comme ce Monsieur D. d'après ses dires) peuvent reprendre leur sang froid rapidement et porter secours à des personnes blessées physiquement ou mentalement tandis que d'autres peuvent avoir subi un choc psychologique et rester pétrifiés de peur de longues minutes après voire même ne jamais s'en remettre.

Dès lors, on peut se poser la question s'il ne semble pas plus "logique", après l'attaque, d'attendre simplement l'arrivée des secours et des forces de l'ordre plutôt que de passer aux caisses régler ses achats alors qu'un homme gît, mort ou en train de mourir, à quelques mètres ? Les personnes présentes dans le Delhaize savaient qu'après un tel événement, la police allait arriver.

A-t-on connaissance de réactions similaires lors des autres attaques ? Il me semble avoir lu qu'à Alost, les clients dans le Delhaize avaient pour la plupart fui en abandonnant leurs courses pendant et après l'attaque.

Réaction similaire lors de l'incendie de l'Innovation (1967) 251 morts + 62 blessés : au restaurant, les clients faisaient la file aux caisses pour payer.

Reproduction de l'interview :
https://web.archive.org/web/20210130170112/https://sites.google.com/site/tueriesdubrabant/interviewjacquesd.

Première question, d’apparence anodine, mais qui à son importance : Quelles étaient les conditions climatiques en cette soirée du 27 septembre 1985 ?
Les conditions climatiques étaient bonnes ce 27 septembre: il faisait doux (j'avais ma veste d'été), il ne pleuvait pas; dans mon souvenir la fin d'après midi avait été très agréable, raison pour laquelle je suis allé plus tard que prévu au Delhaize (et heureusement non accompagné des enfants et de mon épouse comme cela était prévu)

Aviez-vous l'habitude de faire vos achats au Delhaize de Braine l’Alleud ? Où vous trouviez-vous au moment du hold-up ?
J'avais l'habitude d'aller faire mes courses au Delhaize de Braine-l'Alleud à Mont Saint Pont, habitant au Chenois à Waterloo. J'ai dépassé sur la route une camionnette rouge (et repeinte) que j'ai revu plus tard criblée de balles sur le Parking, il s'agissait de la camionnette de la famille Djuroski..En arrivant au Delhaize je suis rentré dans le magasin, puis, ayant oublié les "vidanges" dans mon coffre, je suis retourné les chercher et suis retourné dans le magasin (vers 20h) et suis allé au comptoir où l'on déposait les vidanges à cette époque, juste en face de l'entrée, que l'on rejoignait en longeant les caisses à gauche et les portes vitrées à droite, sans rentrer dans le "corps" du magasin. J'ai sonné pour prévenir le préposé, sans succès..

Avez-vous compris directement qu’il s’agissait d’un hold-up ? Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé du début jusqu’à la fin de l’attaque?
En entendant les premiers coups de feu, tirés dans le sas (?) le bruit avait l'air tellement faible que je n'ai pas compris de quoi il s'agissait. J'ai néanmoins regardé vers l'entrée du magasin  et dès que les attaquants sont rentrés dans le magasin j'ai compris qu'il s'agissait d'une attaque mais je n'ai pas compris tout de suite qu'il s'agissait de tueurs et suis resté calmement où je me trouvais, en simple spectateur sans intention d'intervenir et donc de"participer". Les 3 malfaiteurs sont entrés; dans mon souvenir, 2 sont allés directement, sans hésiter, vers le coffre et le 3ème, le "géant", avec un otage, a progressé systématiquement le long des caisses en réclamant de l'argent aux caissières qui devaient le mettre dans un sac (en papier brun du Delhaize?). En passant, au milieu de sa progression (vers le fond du magasin et donc vers moi) il a tiré, sans raison apparente, vers le magasin puis a continué sa progression en pivotant et me tournant de plus en plus le dos. Il s'est arrêté avec son otage au niveau d'une promotion de vins à 4 - 5 m de moi, surveillant le magasin. Comme moi il regardait si ses complices ressortaient du local au coffre et quand ils sont repartis, il est reparti. Changeant de position, il s'est progressivement retourné vers moi et en me voyant il a tiré en ma direction.

Est ce que vous vous êtes senti directement menacé durant l’attaque ?
Comme je l'ai dit ci dessus, en partant il a tiré dans ma direction alors que j'avais les bras en l'air et que je lui ai dit "ne tirez pas". Il s'est brièvement arrêté dans sa "fuite" (tout à fait calme) et a "lentement" (impression personnelle) dirigé son riot gun vers moi (à 6-7 m) et  a tiré. Sa "décharge" a décapité les bouteilles que j'avais déposées sur le comptoir à côté de moi et troué ma veste. En fait au début de l'attaque je ne me suis pas senti en danger, pensant que dans un hold-up les malfaiteurs essayaient de ne pas blesser ou tuer sauf nécessité. Quand j'ai entendu gémir au milieu des travées la victime du coup de feu tiré pendant la progression le long des caisses, alors qu'il ne constituait pas une menace, je me suis rendu compte que les malfaiteurs n'agissaient pas de façon "classique" et que j'étais en danger, danger que j'évaluais majeur. J'ai pensé me coucher par terre comme le géant l'avait demandé, ce que  je n'avais pas fait, mais j'ai pensé que cela risquait de faire du bruit, d'attirer l'attention et de me mettre encore plus en danger. J'ai donc préféré rester sans bouger (si ce n'est lever les bras en l'air). L'idée de prendre une bouteille et de la fracasser sur la tête du malfaiteur m'a effleuré l'esprit mais mon adversaire me semblait trop grand et costaud, il avait une cagoule sur la tête et des complices. J'ai préféré rester immobile, sans faire de bruit. J'ai craint qu'il ne se retourne lorsqu'une voiture est venue, phare allumés, se garer à côté de moi ( de l'autre côté des portes-fenêtres mais elle est repartie et le "géant" n'a pas bronché.

Quelles furent les réactions du personnel et des clients durant l’attaque ?
Pendant l'attaque, les gens ont exécuté les ordres "se coucher et ne pas bouger" Ceux qui étaient dans le fond du magasin ont compris que quelque chose se passait et sont restés dans le fond. Après l'attaque les gens sont passés  avec leurs caddys aux caisses et ont réglé leurs achats. Moi-même ai acheté des fleurs pour ma femme. Le fait que tout le monde passe et paye aux caisses est un détail assez terre à terre mais quoi faire? Tout abandonner, partir sans payer????

Vous avez vu celui qui était surnommé « le géant » de très près. Correspondait-il au portrait-robot établi par la suite ?  Vous a-t-il paru efféminé ?
Il était grand, mais pas immense: 190 cm environ à mon avis, costaud mais pas obèse, il se déplaçait facilement. Il était engoncé dans une espèce de loden noir (et portait probablement en dessous un gilet pare-balles) et ne semblait pas du tout efféminé. Il était masqué (cagoule) et je ne peux pas le décrire plus.

Pouvez-vous nous donner une description exacte des trois hommes :  physionomie générale, couleurs de la peau et des yeux, vêtements, armes,  gants, chaussures, types de masques (on a parlé de masques d’hommes politiques français) ?
Les 2 autres semblaient de taille moyenne, corpulence moyenne, déplacement aisé rapide et avaient des masques d'hommes politiques français (je ne me souviens plus très bien: tous les deux le même?, Mitterrand ou Chirac), vêtements sombres, plutôt manteaux que sport.

Venons-en à leur organisation durant l’attaque. Confirmez-vous que les assaillants étaient trois ? A quelle distance se tenait-il les uns des autres ? Lequel tenait le jeune garçon en otage ? Quel était le rôle de chaque homme ? L’un d’entre-eux faisait-il le guet ? Qui prenait les initiatives (le géant ou un autre) ? Connaissaient-ils l’endroit où se trouvaient les coffres où l’ont-ils demandé ?
Ils sont entrés ensemble en même temps, en se suivant de près. 2 d'entre-eux sont allés directement vers les coffres, sans hésiter mais en se faisant accompagner. Le 3ème a "fait les caisses" sans hésiter sur la marche à suivre. C'est lui qui a tué la victime à l'intérieur du magasin et a surveillé celui-ci avec son otage, pendant toute l'attaque.

Point important : les tueurs se sont-ils exprimés uniquement en français ? Avaient-ils un accent particulier ? S’exprimaient-ils correctement en français ou parlaient-ils un dialecte quelconque ? Sur quel ton s’adressaient-ils aux personnes présentes (ordres simplistes ou de type militaire) ? Se sont-ils parlé entre-eux ? Si oui, que se sont-ils dit ?
Le géant s'est exprimé en très calmement en français, sans accent particulier, sans accent particulier (ni "belge", ni "français", ni étranger -américain, nord africain, africain, asiatique...) en disant "Tout le monde à terre" "Le premier qui bouge, je le coupe en deux"; c'est tout ce que j'ai entendu.

Vous ont-ils paru calmes ou agités ? Étaient-ils particulièrement déterminés ou montraient-ils des signes d’improvisation ? Leur agressivité vous a paru gratuite ou calculée ? Les personnes sur lesquelles ils ont ouvert le feu représentaient-ils une menace ou un obstacle pour eux ? La presse a parlé d’une attaque militaire ou para-militaire. Partagez-vous ce sentiment ?
Le "géant" était très calme et attendait sans bouger en surveillant le magasin et regardant quand ses complices allaient sortir du local au coffre. Ils n'ont pas tiré dans tous les sens en essayant de faire un carnage mais ont tué toute personne gênante ou n'obéissant pas. A noter qu'à Braine il n'ont pas tué leur otage..Moi-même, quand il s'est retourné en partant, il a eu un moment de surprise apparente en me voyant, a paisiblement tendu le bras et le riot gun dans ma direction, a tiré une fois puis est parti.

Ils ont vidé le contenu des caisses mais se sont-ils saisis de divers produits de consommation (cigarettes, alcools,…) comme ils l’ont fait à Alost ?
Pas à ma connaissance.

Est-il exact que l’un des hommes ait retiré son masque durant ou à la fin du hold-up ?
Je n'ai rien vu de pareil

Avez-vous le souvenir d’autres détails insignifiant en apparence qui pourraient aujourd’hui encore avoir leur importance ? Les victimes se trouvaient-elles à l’intérieur ou à l’extérieur du magasin ?
Non; une victime seulement à l'intérieur.

Vous êtes médecin. Quels ont été les premiers gestes que vous avez posés ? Combien de victimes (morts et blessés) y a-t-il eu ?
Dès qu'ils sont partis, j'ai couru vers le blessé à l'intérieur (qui ne gémissait plus) et essayé de le réanimer, aidé par un client. Un pompier du SMUR de Braine-l'Alleud m'a donné du matériel mais m'a dit qu'ils étaient à l'extérieur avec plusieurs victimes. Malheureusement la victime est décédé exsangue (il avait reçu un seul "plomb" de riot gun qui avait cassé sa clavicule et déchiré son artère sous clavière, artère qui n'est malheureusement pas compressible).

Est-il exact que les secours sont arrivés après 20 minutes ? Qui est arrivé en premier sur les lieux (ambulances, police communale, gendarmerie) ? Des victimes auraient-elles pu être sauvées ?
Difficile à minuter. J'ai d'abord vu les membres du SMUR, puis une foule de policiers et gendarmes de toutes les communes avoisinantes.

A quelle heure avez-vous quitté le Delhaize ? A ce moment, saviez-vous que la bande avait mené une opération similaire au Delhaize d’Overijse ?
Vers 21 h. Je ne savais rien d'une autre attaque. Nous l'avons entendu à la radio à la maison.

Quand avez-vous été entendu pour la première fois par les enquêteurs ?  Combien de fois avez-vous par la suite été convoqué par la cellule Brabant wallon ou par un autre service d’enquête ? Vous a-t-on montré des photos de suspects ?
Je me suis manifesté dans le magasin auprès d'un policier (ou gendarme) mais mon témoignage n'a été recueilli que plusieurs jours plus tard. On ne m'a pas montré de photos mais je n'ai jamais vu les visages des malfaiteurs.

Comment vit-on psychologiquement une telle attaque ?
On prend de grandes résolutions: moins travailler, plus s'occuper de ses enfants; j'ai pris un jour de congé (comptabilisé) pour conduire mes enfants (et principalement mon fils ainé auquel je l'avais promis auparavant ) au ZOO mais ensuite cela a été vite oublié. Je suis resté plus méfiant.

Quand avez-vous osé remettre les pieds dans le Delhaize de Braine ?
La semaine suivante je suis retourné mais jamais avec mes enfants. Et je comprends les caissières qui n'osaient plus travailler.

Par la suite avez-porté de l’intérêt pour l’enquête ? Avez-vous eu des contacts avec d’autres témoins de Braine ou avec des familles de victimes ? Avez-vous été convié aux réunions annuelles regroupant enquêteurs, magistrats, victimes et familles de victimes ?
Je suis allé 2 fois à des réunions. Je reçois des invitations mais n'ai plus été aux réunions. J'ai été frappé lorsque j'ai vu il y a peu de temps l'otage à la télévision. Je le voyais tout à fait autrement (même en tenant compte du temps passé).

La disposition (interne et externe) du Delhaize de Braine-l’Alleud a-t-elle changé depuis 1985 ?
Elle est restée la même plusieurs années et chaque fois que j'y allais je voyais les trous dans le mur derrière moi (un peu comme dans Lucky-Luke). Il y a quelques années tout a changé.

Avez-vous une hypothèse personnelle sur l’affaire du Brabant wallon ? Pensez-vous que les auteurs seront un jour identifiés ?
Toutes les hypothèses sont possibles. Les malfaiteurs devaient avoir probablement une formation militaire sans toutefois que l'on puisse parler d'opérations militaires.
C'est très problématique. J'aimerais beaucoup savoir qui ils étaient, au point de me dire parfois que seule la prescription pourrait apporter la solution.

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Michel Leurquin remercie infiniment le docteur Jacques D. d'avoir accepté cette interview.